Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/238

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senval retrouva la gravité qui convient à une cantatrice.

— Baron, dit-elle, vous êtes un homme charmant. Il n’y a que vous, et je sens ma vocation ; dînons : allons à l’Opéra, à la gloire ; rentrons, soupons, allez-vous-en ; je dors déjà sur mes lauriers.

Le convive attendu arriva bientôt. On brusqua le dîner, et Javotte ne manqua pas de vouloir partir beaucoup plus tôt qu’il n’était nécessaire. Le cœur lui battait en entrant par la porte des acteurs, dans ce vieux, sombre et petit corridor où Taglioni, peut-être, a marché. Comme le ballet fut applaudi, madame Rosenval, couverte d’un capuchon rose, crut avoir contribué au succès. Elle rentra chez elle fort émue, et, dans l’ivresse du triomphe, ses pensées étaient à cent lieues de Tristan, lorsque sa femme de chambre lui remit la petite boîte soigneusement enveloppée par Fossin, et un billet où elle trouva ces mots : « Il ne faut pas que les plaisirs vous fassent oublier un ancien ami qui a besoin d’un service. Soyez bonne comme autrefois. J’attends votre réponse avec impatience. »

— Ce pauvre garçon, dit madame Rosenval, je l’avais oublié. Il m’envoie une châtelaine ; il y a plusieurs turquoises…

Javotte se mit au lit, et ne dormit guère. Elle songea bien plus à son engagement et à sa brillante destinée qu’à la demande de Tristan. Mais le jour la retrouva dans ses bonnes pensées.