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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/252

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place à table, et après le premier verre vidé, qu’il demanda la permission de s’absenter quelques instants pour aller chercher un convive, et qu’il se dirigea vers la maison qu’habitait Eugène ; il le trouva, comme d’ordinaire, à son travail, seul, entouré de ses livres. Après quelques propos insignifiants, il commença à lui faire tout doucement ses reproches accoutumés, qu’il se fatiguait trop, qu’il avait tort de ne prendre aucune distraction, puis il lui proposa un tour de promenade. Eugène, un peu las, en effet, ayant étudié toute la journée, accepta ; les deux jeunes gens sortirent ensemble, et il ne fut pas difficile à Marcel, après quelques tours d’allée au Luxembourg, d’obliger son ami à entrer chez lui.

Les deux grisettes, restées seules, et ennuyées probablement d’attendre, avaient débuté par se mettre à l’aise ; elles avaient ôté leurs châles et leurs bonnets, et dansaient en chantant une contredanse, non sans faire, de temps en temps, honneur aux provisions, par manière d’essai. Les yeux déjà brillants et le visage animé, elles s’arrêtèrent joyeuses et un peu essoufflées, lorsque Eugène les salua d’un air à la fois timide et surpris. Attendu ses mœurs solitaires, il était à peine connu d’elles ; aussi l’eurent-elles bientôt dévisagé des pieds à la tête avec cette curiosité intrépide qui est le privilège de leur caste ; puis elles reprirent leur chanson et leur danse, comme si de rien n’était. Le nouveau venu, à demi déconcerté, faisait déjà quelques pas en