Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/30

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me le dire. Pardonnez-moi, je vous en conjure. Je donnerais mon sang pour être certain de ne pas vous offenser, et pour vous voir écouter mon amour avec ce sourire d’ange qui n’appartient qu’à vous. Quoi que vous fassiez, votre image m’est restée ; vous ne l’effacerez qu’en m’arrachant le cœur. Tant que votre regard vivra dans mon souvenir, tant que ce bouquet gardera un reste de parfum, tant qu’un mot voudra dire qu’on aime, je conserverai quelque espérance. »

Après avoir cacheté sa lettre, Croisilles s’en alla devant l’hôtel Godeau, et se promena de long en large dans la rue, jusqu’à ce qu’il vît sortir un domestique. Le hasard, qui sert toujours les amoureux en cachette, quand il le peut sans se compromettre, voulut que la femme de chambre de mademoiselle Julie eût résolu ce jour-là de faire emplette d’un bonnet. Elle se rendait chez la marchande de modes, lorsque Croisilles l’aborda, lui glissa un louis dans la main, et la pria de se charger de sa lettre. Le marché fut bientôt conclu ; la servante prit l’argent pour payer son bonnet, et promit de faire la commission par reconnaissance. Croisilles, plein de joie, revint à sa maison et s’assit devant sa porte, attendant la réponse.

Avant de parler de cette réponse, il faut dire un mot de mademoiselle Godeau. Elle n’était pas tout à fait exempte de la vanité de son père, mais son bon naturel y remédiait. Elle était, dans la force du terme, ce qu’on nomme un enfant gâté. D’habitude elle parlait fort peu,