Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/307

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— Vous ne savez pas ce que c’est que la cour, et vous voulez vous y présenter !

— Eh ! j’y serai peut-être reçu plus aisément par cette raison que j’y suis inconnu.

— Vous inconnu, chevalier ! y pensez-vous ? Avec un nom comme le vôtre !… Nous sommes vieux gentilshommes, monsieur ; vous ne sauriez être inconnu.

— Eh bien donc ! le roi m’écoutera.

— Il ne voudra pas seulement vous entendre. Vous rêvez Versailles, et vous croirez y être quand votre postillon s’arrêtera… Supposons que vous parveniez jusqu’à l’antichambre, à la galerie, à l’Œil-de-Bœuf : vous ne verrez entre Sa Majesté et vous que le battant d’une porte ; il y aura un abîme. Vous vous retournerez, vous chercherez des biais, des protections, vous ne trouverez rien. Nous sommes parents de M. de Chauvelin ; et comment croyez-vous que le roi se venge ? Par la torture pour Damiens ; par l’exil pour le parlement, mais pour nous autres, par un mot, ou, pis encore, par le silence. Savez-vous ce que c’est que le silence du roi, lorsque, avec son regard muet, au lieu de vous répondre, il vous dévisage en passant et vous anéantit ? Après la Grève et la Bastille, c’est un certain degré de supplice qui, moins cruel en apparence, marque aussi bien que la main du bourreau. Le condamné, il est vrai, reste libre, mais il ne lui faut plus songer à s’approcher ni d’une femme, ni d’un courtisan, ni d’un salon, ni d’une abbaye, ni d’une caserne. Devant lui