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VII


Il ne me fallut pas plus de six semaines pour mettre au jour mon premier ouvrage. C’était, comme je me l’étais promis, un poëme en quarante-huit chants. Il s’y trouvait bien quelques négligences, à cause de la prodigieuse fécondité avec laquelle je l’avais écrit ; mais je pensai que le public d’aujourd’hui, accoutumé à la belle littérature qui s’imprime au bas des journaux, ne m’en ferait pas un reproche.

J’eus un succès digne de moi, c’est-à-dire sans pareil. Le sujet de mon ouvrage n’était autre que moi-même : je me conformai en cela à la grande mode de notre temps. Je racontais mes souffrances passées avec une fatuité charmante ; je mettais le lecteur au fait de mille détails domestiques du plus piquant intérêt ; la description de l’écuelle de ma mère ne remplissait pas moins de quatorze chants : j’en avais compté les rainures, les trous, les bosses, les éclats, les échardes, les clous, les taches, les teintes diverses, les reflets ; j’en montrais le dedans, le dehors, les bords, le fond, les côtés, les plans inclinés, les plans droits ; passant au contenu, j’avais étudié les brins d’herbe, les pailles, les feuilles sèches,