Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/86

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suis donc plus seul sur la terre ! Je me hâtai de répondre à la belle inconnue, et je le fis d’une manière qui témoignait assez combien sa proposition m’agréait. Je la pressais de venir à Paris ou de me permettre de voler près d’elle. Elle me répondit qu’elle aimait mieux venir, parce que ses parents l’ennuyaient, qu’elle mettait ordre à ses affaires et que je la verrais bientôt.

Elle vint, en effet, quelques jours après. Ô bonheur ! c’était la plus jolie merlette du monde, et elle était encore plus blanche que moi.

— Ah ! mademoiselle, m’écriai-je, ou plutôt madame, car je vous considère des à présent comme mon épouse légitime, est-il croyable qu’une créature si charmante se trouvât sur la terre sans que la renommée m’apprît son existence ? Bénis soient les malheurs que j’ai éprouvés et les coups de bec que m’a donnés mon père, puisque le ciel me réservait une consolation si inespérée ! Jusqu’à ce jour, je me croyais condamné à une solitude éternelle, et, à vous parler franchement, c’était un rude fardeau à porter ; mais je me sens, en vous regardant, toutes les qualités d’un père de famille. Acceptez ma main sans délai ; marions-nous à l’anglaise, sans cérémonie, et partons ensemble pour la Suisse.

— Je ne l’entends pas ainsi, me répondit la jeune merlette ; je veux que nos noces soient magnifiques, et que tout ce qu’il y a en France de merles un peu bien nés y soient solennellement rassemblés. Des gens comme nous doivent à leur propre gloire de ne pas se marier