Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/87

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comme des chats de gouttière. J’ai apporté une provision de bank-notes. Faites vos invitations, allez chez vos marchands, et ne lésinez pas sur les rafraîchissements.

Je me conformai aveuglément aux ordres de la blanche merlette. Nos noces furent d’un luxe écrasant ; on y mangea dix mille mouches. Nous reçûmes la bénédiction nuptiale d’un révérend père Cormoran, qui était archevêque in partibus. Un bal superbe termina la journée ; enfin, rien ne manqua à mon bonheur.

Plus j’approfondissais le caractère de ma charmante femme, plus mon amour augmentait. Elle réunissait, dans sa petite personne, tous les agréments de l’âme et du corps. Elle était seulement un peu bégueule ; mais j’attribuai cela à l’influence du brouillard anglais dans lequel elle avait vécu jusqu’alors, et je ne doutai pas que le climat de la France ne dissipât bientôt ce léger nuage.

Une chose qui m’inquiétait plus sérieusement, c’était une sorte de mystère dont elle s’entourait quelquefois avec une rigueur singulière, s’enfermant à clef avec ses caméristes, et passant ainsi des heures entières pour faire sa toilette, à ce qu’elle prétendait. Les maris n’aiment pas beaucoup ces fantaisies dans leur ménage. Il m’était arrivé vingt fois de frapper à l’appartement de ma femme sans pouvoir obtenir qu’on m’ouvrît la porte. Cela m’impatientait cruellement. Un jour, entre autres, j’insistai avec tant de mauvaise humeur, qu’elle se vit obligée de céder et de m’ouvrir un peu à la hâte, non