Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/112

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même, si bien que sa pensée avait pénétré d’avance au delà de tout ce qu’on pouvait lui représenter ! Il n’est donné qu’au temps, à l’expérience et à la réflexion, d’amener un changement dans le génie d’un poète, et, si la réflexion peut abréger le temps, jamais poète n’alla si vite en besogne que celui-là.

L’expérience de la publicité avait suffi, comme on l’a vu, pour déterminer Alfred de Musset à une réforme dans sa manière. Ce n’était là qu’une affaire de prosodie et de versification. Une révolution bien plus importante se préparait dans ses idées et son caractère. Il produisit fort peu en 1830 et 1831 ; mais il avait beaucoup lu, beaucoup médité et plus vécu peut-être qu’il n’est nécessaire à un poète. Un soir du mois d’octobre, je le trouvai soucieux, la tête dans ses mains. Je lui demandai à quoi il songeait :

« Je songe, me répondit-il, que j’approche de ma majorité. Dans deux mois, à pareil jour, j’aurai vingt-un ans, et c’est un grand âge. Ai-je besoin de tant fréquenter les hommes et de faire jaser tant de femmes pour les connaître ? n’ai-je pas vu assez de choses pour avoir beaucoup à dire, si je suis capable de dire quelque chose ? Ou l’on ne porte rien en soi, et alors les sensations n’éveillent rien dans l’esprit ; ou l’on porte en soi les éléments de tout, et alors il suffit de voir un peu pour tout deviner. Je sens pourtant qu’il me manque encore je ne sais quoi. Est-ce un grand amour ? est-ce un malheur ? Peut-être tous les deux.