Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/285

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quel sujet de plainte lui fut donné ; mais il fallait assurément qu’il eût reçu quelque traitement dur, blessant et injuste, le jour qu’il rentra chez lui, décidé à rompre tout de bon. Dans la disposition d’esprit que je viens de raconter, il écrivit les vers Sur une morte. La rupture était complète, irrémédiable. Pour juger si l’auteur de ces vers a commis une faute, il faudrait connaître le grief et la blessure dont il avait à se plaindre, et personne n’en sait la gravité. On n’a jamais blâmé le grand Corneille d’avoir cédé à un mouvement de colère poétique contre une femme qui avait eu l’imprudence de se moquer de lui. Le moyen de ne point sentir la griffe du lion, c’est de ne pas l’irriter.

Outre les sonnets de Michel-Ange, Alfred relisait sans cesse, jusqu’à les savoir par cœur, les poésies de Giacomo Leopardi, dont les alternatives de sombre tristesse et de douce mélancolie répondaient à l’état présent de son esprit. Lorsqu’il frappait sur la couverture du volume, en disant : « Ce livre, si petit, vaut tout un poème épique, » il sentait que l’âme de Leopardi était sœur de la sienne. Les Italiens ont la tête trop vive pour aimer beaucoup la poésie du cœur. Il leur faut du fracas et de grands mots. Plus malheureux qu’Alfred de Musset, Leopardi n’a pas obtenu justice de ses compatriotes, même après sa mort. Alfred en était révolté. Il voulut d’abord écrire un article, pour la Revue des Deux-Mondes, sur cet