Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/287

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taire de Tattet, Sainte-Beuve qui rabaissait l’auteur des vers Sur la paresse au niveau des lauréats femelles, Lamartine qui, depuis six ans, lui faisait attendre une réponse, le duc d’Orléans misérablement tué par un vulgaire accident de voiture, et l’on m’accordera bien que, même pour une organisation moins impressionnable, il y avait là de quoi se plaindre et s’attrister. Il est certain que, dans ce moment, tout sembla se concerter pour l’affliger, tout ce qui exerçait une action quelconque sur son cœur ou son esprit lui donna quelque sujet de chagrin. Enfin, moi-même, qui cherchais à le consoler par tous les moyens en mon pouvoir, je ne l’épargnai pas plus que les autres. Depuis plusieurs années je rêvais un voyage en Italie. Ce fut précisément à la fin de 1842 que ce voyage, tant désiré, put s’arranger. Je partis le 19 novembre. De peur de troubler mon plaisir, Alfred ne me dit pas un mot du vide énorme que mon absence allait faire dans sa vie, au moment où il avait si grand besoin de moi. Il voulut me reconduire à la malle-poste, quoiqu’il fût indisposé ce jour-là, et il me dit adieu en souriant. Une lettre de la marraine vint m’apprendre ce qu’il avait ressenti en me serrant la main par la portière de la voiture. « J’étais encore trop heureux, avait-il dit à sa marraine ; je pouvais, à toute heure de jour et de nuit, confier mes peines à un ami. Il fallait bien que ce bonheur-là me fût aussi ravi. »