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la suivîmes, jusqu’au cabinet de notre père, pleurant et criant comme elle. La nouvelle du désastre de Waterloo se répandit ainsi dans la maison. J’entends encore les clameurs des femmes. Peu de temps après, deux officiers prussiens vinrent présenter leur billet de logement. On leur avait préparé deux chambres au troisième étage. Ils voulaient pénétrer dans l’appartement. Notre mère sortit jusque sur l’escalier, ferma la porte derrière elle et déclara aux Prussiens qu’ils ne passeraient pas. Un des officiers voulut lui arracher des mains la clef ; mais elle la jeta dans la cour par la fenêtre, sans se laisser intimider par les menaces et les jurements. Notre père rentra sur ces entrefaites ; il conduisit les Prussiens à leur état-major et revint avec deux autres officiers d’humeur plus accommodante. Tous les soirs, entre nos parents et nos amis, les discussions recommençaient avec plus de vivacité que jamais. Mon frère et moi nous ne comprenions rien à ces dissentiments. Ce qu’on disait de la charte constitutionnelle, de la pairie, des princes légitimes et de leurs droits au trône, était de l’hébreu pour nous. Il fut bien décidé, dans nos conciliabules, que nous resterions fidèles à notre empereur, que nos bras, notre sang, appartenaient à lui seul, qu’il reviendrait infailliblement nous les demander un jour, et qu’il nous conduirait à Vienne et à Berlin, comme il y avait conduit nos pères. En attendant qu’un nouveau miracle, comme le retour de l’île d’Elbe, vînt nous rendre