Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/112

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digne en tout d’une belle femme et d’un jeune garçon ; toutes les danses, au prix de celle-là, ne sont que des conventions insipides ou des prétextes pour les entretiens les plus insignifiants. C’est véritablement posséder en quelque sorte une femme, que de la tenir une demi-heure dans ses bras et de l’entraîner ainsi, palpitante malgré elle, et non sans quelque risque, de telle sorte qu’on ne pourrait dire si on la protège ou si on la force. Quelques-unes se livrent alors avec une si voluptueuse pudeur, avec un si doux et si pur abandon, qu’on ne sait si ce qu’on ressent près d’elles est du désir ou de la crainte, et si en les serrant sur son cœur on se pâmerait ou on les briserait comme des roseaux. L’Allemagne, où l’on a inventé cette danse, est à coup sûr un pays où l’on aime.

Je tenais dans mes bras une superbe danseuse d’un théâtre d’Italie, venue à Paris pour le Carnaval ; elle était en costume de Bacchante, avec une robe de peau de panthère. Jamais je n’ai rien vu de si languissant que cette créature. Elle était grande et mince, et, tout en valsant avec une rapidité extrême, elle avait l’air de se traîner ; à la voir, on eût dit qu’elle devait fatiguer son valseur ; mais on ne la sentait pas, elle courait comme par enchantement.

Sur son sein était un bouquet énorme, dont les parfums m’enivraient malgré moi. Au moindre mouvement de mon bras, je la sentais plier comme une liane des Indes, pleine d’une mollesse si douce et si sympathique, qu’elle m’entourait comme d’un voile de soie embaumée. À chaque tour on entendait à peine un léger froissement de son collier sur sa ceinture de métal ; elle se mouvait si divinement que je croyais voir un bel astre, et tout cela avec un sourire, comme une fée qui