Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/170

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temps pour voir si je la suivais ; mais lorsque nous entrâmes dans la forêt, et que le pas de nos chevaux commença à retentir sous les sombres allées, parmi les roches solitaires, je la vis trembler tout à coup. Elle s’arrêtait comme pour m’attendre, car je me tenais un peu derrière elle ; dès que je la rejoignais, elle prenait le galop. Bientôt nous arrivâmes sur le penchant de la montagne, et il fallut aller au pas. Je vins alors me mettre à côté d’elle ; mais nous baissions tous deux la tête ; il était temps, je lui pris la main. « Brigitte, lui dis-je, vous ai-je fatiguée de mes plaintes ? Depuis que je suis revenu, que je vous vois tous les jours, et que tous les soirs en rentrant je me demande quand il faudra mourir, vous ai-je importunée ? Depuis deux mois que je perds le repos, la force et l’espérance, vous ai-je dit un mot de ce fatal amour qui me dévore et qui me tue, ne le savez-vous pas ? Levez la tête ; faut-il vous le dire ? Ne voyez-vous pas que je souffre et que mes nuits se passent à pleurer ? n’avez- vous pas rencontré quelque part dans ces forêts sinistres un malheureux assis les deux mains sur son front ? n’avez-vous jamais trouvé de larmes sur ces bruyères ? Regardez-moi, regardez ces montagnes ; vous souvenez-vous que je vous aime ? Ils le savent, eux, ces témoins ; ces rochers, ces déserts le savent. Pourquoi m’amener devant eux ? ne suis-je pas assez misérable ? ai-je manqué maintenant de courage ? êtes-vous assez obéie ? À quelle épreuve, à quelle torture suis-je soumis, et pour quel crime ? Si vous ne m’aimez pas, que faites-vous ici ? – Partons, dit-elle, ramenez-moi, retournons sur nos pas. » Je saisis la bride de son cheval. « Non, répondis-je, car j’ai parlé. Si nous retournons,