Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/171

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

je vous perds, je le sais ; en rentrant chez vous, je sais d’avance ce que vous me direz. Vous avez voulu voir jusqu’où allait ma patience, vous avez mis ma douleur au défi, peut-être pour avoir le droit de me chasser ; vous étiez lasse de ce triste amant qui souffrait sans se plaindre, et qui buvait avec résignation le calice amer de vos dédains ! vous saviez que, seul avec vous, à l’aspect de ces bois, en face de ces solitudes où mon amour a commencé, je ne pourrais garder le silence ! vous avez voulu être offensée ; eh bien ! madame, que je vous perde ! j’ai assez pleuré, j’ai assez souffert, j’ai assez refoulé dans mon cœur l’amour insensé qui me ronge ; vous avez eu assez de cruauté. » Comme elle fit un mouvement pour sauter à bas de cheval, je la pris dans mes bras, et collai mes lèvres sur les siennes. Mais, au même instant je la vis pâlir, ses yeux se fermèrent, elle lâcha la bride qu’elle tenait, et glissa à terre. « Dieu de bonté, m’écriai-je, elle m’aime ! » Elle m’avait rendu mon baiser. Je mis pied à terre, et courus à elle. Elle était étendue sur l’herbe. Je la soulevai, elle ouvrit les yeux ; une terreur subite la fit frissonner tout entière ; elle repoussa ma main avec force, fondit en larmes, et m’échappa. J’étais resté au bord du chemin ; je la regardais, belle comme le jour, appuyée contre un arbre, ses longs cheveux tombant sur ses épaules, ses mains irritées et tremblantes, ses joues couvertes de rougeur, toutes brillantes de pourpre et de perles. « Ne m’approchez pas, criait-elle, ne faites pas un pas vers moi ! – Ô mon amour ! lui dis-je, ne craignez rien ; si je vous ai offensée tout à l’heure, vous pouvez m’en punir ;