Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/180

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je voulais lutter avec l’esprit de ténèbres qui me saisissait en ce moment, plus l’épaisse nuit redoublait dans ma tête. « Vraiment ! lui dis-je, vous mentez si bien ? Quoi ! cet air est de vous ? vous savez donc mentir si aisément ? »

Elle me regarda d’un air étonné. « Qu’est-ce donc ? » dit-elle. Une inquiétude inexprimable se peignit sur ses traits. Assurément elle ne pouvait me croire assez fou pour lui faire un reproche véritable d’une plaisanterie aussi simple ; elle ne voyait là de sérieux que la tristesse qui s’emparait de moi ; mais plus la cause en était frivole, plus il y avait de quoi surprendre. Elle voulut croire un instant que je plaisantais à mon tour ; mais quand elle me vit toujours plus pâle et comme prêt à défaillir, elle resta les lèvres ouvertes, le corps penché, comme une statue. « Dieu du ciel ! s’écria-t-elle, est-ce possible ? »

Tu souris peut-être, lecteur, en lisant cette page ; moi qui l’écris, j’en frémis encore. Les malheurs ont leurs symptômes comme les maladies, et il n’y a rien de si redoutable en mer qu’un petit point noir à l’horizon.

Cependant, quand le jour parut, ma chère Brigitte tira au milieu de la chambre une petite table ronde en bois blanc ; elle y posa de quoi souper, ou, pour mieux dire, de quoi déjeuner, car déjà les oiseaux chantaient et les abeilles bourdonnaient sur le parterre. Elle avait tout préparé elle-même, et je ne bus pas une goutte qu’elle n’eût porté le verre à ses lèvres. La lumière bleuâtre du jour, perçant les rideaux de toile bariolée, éclairait son charmant visage et ses grands yeux un peu battus ; elle se sentait envie de dormir et laissa tomber, tout en m’embrassant, sa tête sur mes épaules, avec mille propos languissants.