Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/183

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mes désordres, me traversèrent l’esprit subitement ; et, chose étrange ! tandis qu’autrefois je n’y croyais pas en en faisant parade, il me semblait maintenant qu’elles étaient réelles, ou que du moins elles l’avaient été.

Je connaissais madame Pierson depuis quatre mois, mais je ne savais rien de sa vie passée et ne lui en avais rien demandé. Je m’étais livré à mon amour pour elle avec une confiance et un entraînement sans bornes. J’avais trouvé une sorte de jouissance à ne faire aucune question sur elle à personne ni à elle-même ; d’ailleurs, les soupçons et la jalousie sont si peu dans mon caractère que j’étais plus étonné d’en ressentir que Brigitte d’en trouver en moi. Jamais, dans mes premiers amours ni dans le commerce habituel de la vie, je n’avais été défiant, mais plutôt hardi, au contraire, et ne doutant pour ainsi dire de rien. Il avait fallu que je visse de mes propres yeux la trahison de ma maîtresse pour croire qu’elle pouvait me tromper ; Desgenais lui-même, tout en me sermonnant à sa manière, me plaisantait continuellement sur ma facilité à me laisser duper. L’histoire de ma vie entière était une preuve que j’étais plutôt crédule que soupçonneux ; aussi, quand la vue de ce livre me frappa ainsi tout à coup, il me sembla que je sentais en moi un nouvel être et une sorte d’inconnu ; ma raison se révoltait contre ce que j’éprouvais, et je n’osais me demander où tout cela allait me conduire.

Mais les souffrances que j’avais endurées, le souvenir des perfidies dont j’avais été le témoin, l’affreuse guérison que je m’étais imposée, les discours de mes amis, le monde corrompu que j’avais traversé, les tristes vérités que j’y avais vues, celles que, sans les connaître, j’avais comprises et devinées par une funeste intelligence, la débauche enfin, le mépris de l’amour, l’abus