Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/184

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de tout, voilà ce que j’avais dans le cœur sans m’en douter encore, et au moment où je croyais renaître à l’espérance et à la vie, toutes ces furies engourdies me prenaient à la gorge et me criaient qu’elles étaient là.

Je me baissai et ouvris le livre, puis je le fermai aussitôt et le rejetai sur la table. Brigitte me regardait ; il n’y avait dans ses beaux yeux ni orgueil blessé ni colère ; il n’y avait qu’une tendre inquiétude, comme si j’eusse été malade. « Est-ce que vous croyez que j’ai des secrets ? demanda-t-elle en m’embrassant.

— Non, lui dis-je, je ne crois rien, sinon que tu es belle, et que je veux mourir en t’aimant. »

Rentré chez moi, comme j’étais en train de dîner, je demandai à Larive : « Qu’est-ce donc que cette madame Pierson ? »

Il se retourna tout étonné. « Tu es, lui dis-je, dans le pays depuis nombre d’années ; tu dois la connaître mieux que moi. Que dit-on d’elle ici ? qu’en pense-t-on dans le village ? quelle vie menait-elle avant que je la connusse ? quelles gens voyait-elle ?

— Ma foi ! monsieur, je ne lui ai vu faire que ce qu’elle fait tous les jours, c’est-à-dire se promener dans la vallée, jouer au piquet avec sa tante, et faire la charité aux pauvres. Les paysans l’appellent Brigitte-la-Rose ; je n’ai jamais entendu dire un mot contre elle à qui que ce soit, sinon qu’elle court les champs toute seule, à toute heure du jour et de la nuit ; mais c’est dans un but si louable ! Elle est la Providence du pays. Quant aux gens qu’elle voit, ce n’est guère que le curé, et M. de Dalens, aux vacances.

— Qu’est-ce que c’est que M. de Dalens ?

— C’est le propriétaire d’un château qui est là-bas, derrière la montagne ; il ne vient ici que pour la chasse.