Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/218

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— Attendez-moi, lui dis-je, ne partez pas sans moi. Souvenez-vous des paroles de Ruth : « En quelque lieu que vous alliez, votre peuple sera mon peuple, et votre Dieu sera mon Dieu ; la terre où vous mourrez me verra mourir, et je serai ensevelie où vous le serez. »

Je la quittai précipitamment, et je courus chez Mercanson ; on me dit qu’il était sorti, et j’entrai chez lui pour l’attendre.

Je m’étais assis dans un coin, sur la chaise de cuir du prêtre, devant sa table noire et sale. Je commençais à trouver le temps long, lorsque je vins à me rappeler mon duel au sujet de ma première maîtresse.

« J’y ai reçu, me dis-je, un bon coup de pistolet, et j’en suis resté un fou ridicule. Qu’est-ce que je viens faire ici ? ce prêtre ne se battra pas ; si je vais lui chercher querelle, il me répondra que la forme de son habit le dispense de m’écouter, et il en jasera un peu davantage quand je serai parti. Quels sont d’ailleurs ces propos que l’on tient ? De quoi s’inquiète Brigitte ? On dit qu’elle se perd de réputation, que je la maltraite et qu’elle a tort de le souffrir. Quelle sottise ! cela ne regarde personne ; il n’y a rien de mieux que de laisser dire ; en pareil cas, s’occuper de ces misères, c’est leur donner de l’importance. Peut-on empêcher des gens de province de s’occuper de leurs voisins ? Peut-on empêcher des bégueules de médire d’une femme qui prend un amant ? Quel moyen saurait-on trouver de faire cesser un bruit public ? Si on dit que je la maltraite, c’est à moi à prouver le contraire par ma conduite avec elle et non par de la violence. Il serait aussi ridicule de chercher querelle à Mercanson que de quitter un pays parce qu’on y jase. Non, il ne faut pas quitter le pays ; c’est une maladresse ; ce serait faire dire à tout le monde qu’