Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/233

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dormait Brigitte. Elle me trouva plus d’une fois, en s’éveillant, à genoux au pied de son lit, la regardant dormir et ne pouvant retenir mes larmes ; je ne savais par quel moyen la convaincre de la sincérité de mon repentir. Si mon amour pour ma première maîtresse m’avait fait faire autrefois des folies, j’en faisais maintenant cent fois plus ; tout ce que la passion portée à l’excès peut inspirer d’étrange ou de violent, je le recherchais avec fureur. C’était un culte que j’avais pour Brigitte, et, quoique son amant depuis plus de six mois, il me semblait, quand je l’approchais, que je la voyais pour la première fois ; j’osais à peine baiser le bas de la robe de cette femme que j’avais si longtemps maltraitée. Ses moindres mots me faisaient tressaillir comme si sa voix m’eût été nouvelle ; tantôt je me jetais dans ses bras en sanglotant, et tantôt j’éclatais de rire sans motif ; je ne parlais de ma conduite passée qu’avec horreur et avec dégoût, et j’aurais voulu qu’il eût existé quelque part un temple consacré à l’amour, pour m’y laver dans un baptême et m’y couvrir d’un vêtement distinct que rien désormais n’eût pu m’arracher.

J’ai vu le saint Thomas du Titien poser son doigt sur la plaie du Christ, et j’ai souvent pensé à lui ; si j’osais comparer l’amour à la foi d’un homme en son Dieu, je pourrais dire que je lui ressemblais. Quel nom porte le sentiment qu’exprime cette tête inquiète, presque doutant encore et adorant déjà ? Il touche la plaie ; le blasphème étonné s’arrête sur ces lèvres ouvertes, où la prière se pose doucement. Est-ce un apôtre ? est-ce un impie ? se repent-il autant qu’il a offensé ? Ni lui, ni le peintre, ni toi qui le regardes, vous n’en savez rien ; le Sauveur sourit, et tout s’absorbe comme une goutte de rosée dans un rayon de l’immense bonté.