Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/234

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C’est ainsi que, devant Brigitte, j’étais muet et comme surpris sans cesse ; je tremblais qu’elle ne conservât des craintes, et que tant de changements qu’elle avait vus en moi ne la rendissent défiante. Mais au bout de quinze jours, elle avait lu clairement dans mon cœur ; elle comprit qu’en la voyant sincère, je l’étais devenu à mon tour, et comme mon amour venait de son courage, elle ne douta pas plus de l’un que de l’autre.

Notre chambre était pleine de hardes en désordre, d’albums, de crayons, de livres, de paquets, et sur tout cela, toujours étalée, la chère carte que nous aimions tant. Nous allions et venions ; je m’arrêtais à tout moment pour me jeter aux genoux de Brigitte, qui me traitait de paresseux, disant en riant qu’il lui fallait tout faire et que je n’étais bon à rien ; et, tout en préparant les malles, les projets allaient, comme on pense. C’était bien loin de gagner la Sicile ; mais l’hiver y est si agréable ! c’est le climat le plus heureux. Gênes est bien belle avec ses maisons peintes, ses jardins verts en espalier et les Apennins derrière elle. Mais que de bruit ! quelle multitude ! Sur trois hommes qui passent dans les rues, il y a un moine et un soldat. Florence est triste ; c’est le Moyen ge encore vivant au milieu de nous. Comment souffrir ces fenêtres grillées et cette affreuse couleur brune dont les maisons sont toutes salies ! Qu’irions-nous faire à Rome ? nous ne voyageons pas pour nous éblouir, et encore moins pour rien apprendre. Si nous allions sur les bords du Rhin ? mais la saison y sera passée, et quoiqu’on ne cherche pas le monde, il est toujours triste d’aller où il va, quand il n’y est plus. Mais l’Espagne ? trop d’embarras nous y arrêteraient ; il faut y marcher comme en guerre et s’attendre à tout, hormis au repos. Allons en Suisse ! si tant de gens y voyagent, laissons