Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les sots en faire fi ; c’est là qu’éclatent dans toute leur splendeur les trois couleurs les plus chères à Dieu : l’azur du ciel, la verdure des plaines et la blancheur des neiges au sommet des glaciers. « Partons, partons, disait Brigitte, envolons-nous comme deux oiseaux. Figurons-nous mon cher Octave, que c’est d’hier que nous nous connaissons. Vous m’avez rencontrée au bal, je vous ai plu et je vous aime ; vous me contez qu’à quelques lieues d’ici, dans je ne sais quelle petite ville, vous avez aimé une madame Pierson ; ce qui s’est passé entre vous et elle, je ne le veux seulement pas croire. N’iriez-vous pas me faire confidence de vos amours avec une femme que vous avez quittée pour moi ? Je vous dis tout bas à mon tour qu’il n’y a pas bien longtemps encore j’ai aimé un mauvais sujet qui m’a rendue assez malheureuse ; vous me plaignez, vous m’imposez silence, et il est convenu entre nous qu’il n’en sera jamais question. »

Lorsque Brigitte parlait ainsi, ce que j’éprouvais ressemblait à de l’avarice ; je la serrais avec des bras tremblants. « Ô Dieu ! m’écriais-je, je ne sais si c’est de joie ou de crainte que je frissonne. Je vais t’emporter, mon trésor. Devant cet horizon immense, tu es à moi ! nous allons partir. Meure ma jeunesse, meurent les souvenirs, meurent les soucis et les regrets ! Ô ma bonne et brave maîtresse, tu as fait un homme d’un enfant ! Si je te perdais maintenant, jamais je ne pourrais aimer. Peut-être, avant de te connaître, une autre femme aurait pu me guérir ; mais maintenant toi seule au monde tu peux me tuer ou me sauver ; car je porte au cœur la blessure de tout le mal que je t’ai fait. J’ai été ingrat, aveugle et cruel. Dieu soit béni ! tu m’aimes encore. Si jamais tu retournes au village où je t’ai vue sous les tilleuls, regarde cette maison déserte ; il doit y avoir