Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/274

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en les examinant, elle commença à parler avec volubilité, les joues ardentes comme dans la fièvre. Elle me demandait pardon de son silence obstiné et de sa conduite depuis notre arrivée. Elle me témoignait plus de tendresse, plus de confiance que jamais. Elle frappait des mains en riant et se promettait le plus charmant voyage ; enfin elle était tout amour, ou du moins tout semblant d’amour. Je ne puis dire combien je souffrais de cette joie factice ; il y avait, dans cette douleur qui se démentait ainsi elle-même, une tristesse plus affreuse que les larmes et plus amère que les reproches. Je l’eusse mieux aimée froide et indifférente que s’excitant ainsi pour se vaincre ; il me semblait voir une parodie de nos moments les plus heureux. C’étaient les mêmes paroles, la même femme, les mêmes caresses, et ce qui, quinze jours auparavant, m’enivrait d’amour et de bonheur, répété ainsi, me faisait horreur.

« Brigitte, lui dis-je tout à coup, quel mystère me cachez-vous donc ? Si vous m’aimez, quelle comédie horrible jouez-vous donc ainsi devant moi ?

— Moi ! dit-elle presque offensée. Qui vous fait croire que je la joue ?

— Qui me le fait croire ? Dites-moi, ma chère, que vous avez la mort dans l’âme et que vous souffrez le martyre. Voilà mes bras prêts à vous recevoir ; appuyez-y la tête, et pleurez. Alors je vous emmènerai peut-être ; mais, en vérité, pas ainsi.

— Partons ! partons ! répéta-t-elle encore.

— Non, sur mon âme ! non, pas à présent, non, tant qu’il y a entre nous un mensonge ou un masque. J’aime mieux le malheur que cette gaîté-là. » Elle resta muette, consternée de voir que je ne me trompais pas à ses paroles, et que je la devinais malgré ses efforts.