Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/278

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quels regards de fierté dédaigneuse ne savent pas s’envelopper les plus coupables et les plus perfides ! Votre grande arme est le silence, ce n’est pas d’hier que je le sais. Vous ne voulez qu’être insultées, vous vous taisez jusqu’à ce qu’on y vienne ; allez, allez, luttez avec mon cœur ; là où bat le vôtre, vous le trouverez ; mais ne luttez pas avec ma tête : elle est plus dure que le fer, et elle en sait aussi long que vous.

— Pauvre garçon, murmura Brigitte, vous ne voulez donc pas partir ?

— Non ! je ne pars qu’avec ma maîtresse, et vous ne l’êtes pas maintenant. J’ai assez lutté, j’ai assez souffert, je me suis assez dévoré le cœur. Il est temps que le jour se lève ; j’ai assez vécu dans la nuit. Oui ou non, voulez-vous répondre ?

— Non.

— Comme il vous plaira ; j’attendrai. »

J’allai m’asseoir à l’autre bout de la chambre, déterminé à ne pas me lever que je n’eusse appris ce que je voulais savoir. Elle paraissait réfléchir et marchait lentement devant moi.

Je la suivais d’un œil avide, et le silence qu’elle gardait augmentait par degrés ma colère. Je ne voulais pas qu’elle s’en aperçût, et ne savais quel parti prendre. J’ouvris la fenêtre. « Qu’on dételle les chevaux, criai-je, et qu’on les paie. Je ne partirai pas ce soir.

— Pauvre malheureux ! dit Brigitte. » Je refermai tranquillement la fenêtre et me rassis sans avoir l’air d’entendre ; mais je me sentais une telle rage que je n’y pouvais résister. Ce froid silence, cette force négative m’exaspéraient au dernier point. J’aurais été réellement trompé, et sûr de la trahison d’une femme aimée, que je n’aurais rien éprouvé de pire. Dès que je me fus condamné