Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/300

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clavier d’ivoire ; il commence un hymne éternel, l’hymne d’amour et d’immortel oubli. Mais ses genoux chancellent, ses ailes tombent, sa tête s’incline comme un roseau brisé ; l’ange de la mort lui a touché l’épaule, il disparaît dans l’immensité !

« Et toi, c’est à vingt-deux ans que tu restes seul sur la terre ! quand un amour noble et élevé, quand la force de la jeunesse allaient peut-être faire de toi quelque chose ! Lorsque après de si longs ennuis, des chagrins si cuisants, tant d’irrésolutions, une jeunesse si dissipée, tu pouvais voir se lever sur toi un jour tranquille et pur ! lorsque ta vie, consacrée à un être adoré, pouvait se remplir d’une sève nouvelle, c’est en ce moment que tout s’abîme et s’évanouit devant toi ! Te voilà non plus avec des désirs vagues, mais avec des regrets réels ; non plus le cœur vide, mais dépeuplé. Et tu hésites ? Qu’attends-tu ? Puisqu’elle ne veut plus de ta vie, que ta vie ne compte plus pour rien ; puisqu’elle te quitte, quitte-toi aussi. Que ceux qui ont aimé ta jeunesse pleurent sur toi ; ils ne sont pas nombreux. Qui a été muet près de Brigitte doit rester muet pour toujours ! Que celui qui a passé sur son cœur en garde du moins la trace intacte ! Ah Dieu ! si tu veux vivre encore, ne faudrait-il pas l’effacer ? Quel autre parti te resterait-il, pour conserver ton souffle misérable, que d’achever de le corrompre ? Oui, maintenant ta vie est à ce prix. Il te faudrait, pour la supporter, non seulement oublier l’amour, mais désapprendre qu’il existe ; non seulement renier ce qui a été bon en toi, mais tuer ce qui peut l’être encore ; car que ferais-tu si tu t’en souvenais ? Tu ne ferais pas un pas sur terre, tu ne rirais pas, tu ne pleurerais pas, tu ne donnerais pas l’aumône à un pauvre, tu ne pourrais pas