Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/301

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être bon un quart d’heure, sans que tout ton sang, reflué au cœur, te crie que Dieu t’avait fait bon pour que Brigitte fût heureuse. Tes moindres actions retentiraient en toi, et, comme des échos sonores, y feraient gémir tes malheurs ; tout ce qui remuerait ton âme y éveillerait un regret, et l’espérance, ce messager céleste, ce saint ami qui nous invite à vivre, se changerait lui-même pour toi en un fantôme inexorable, et deviendrait frère jumeau du passé ; tous tes essais de saisir quelque chose ne seraient qu’un long repentir. Quand l’homicide marche dans l’ombre, il tient ses mains serrées sur sa poitrine, de peur de rien toucher et que les murs ne l’accusent. C’est ainsi qu’il te faudrait faire ; choisis de ton âme ou de ton corps : il te faut tuer l’un des deux. Le souvenir du bien t’envoie au mal ; fais de toi un cadavre, si tu ne veux être ton propre spectre. Ô enfant, enfant ! meurs honnête ! qu’on puisse pleurer sur ton tombeau ! »

Je me jetai sur le pied du lit, plein d’un si affreux désespoir que ma raison m’abandonnait, et que je ne savais plus où j’étais ni ce que je faisais. Brigitte poussa un soupir, et, écartant le drap qui la couvrait, comme oppressée d’un poids importun, découvrit son sein blanc et nu.

À cette vue, tous mes sens s’émurent. Était-ce de douleur ou de désir ? je n’en sais rien. Une pensée horrible m’avait fait frémir tout à coup. « Eh quoi ! me dis-je, laisser cela à un autre ! mourir, descendre dans la terre, tandis que cette blanche poitrine respirera l’air du firmament ! Dieu juste ! une autre main que la mienne sur cette peau fine et transparente ! une autre bouche sur ces lèvres et un autre amour dans ce cœur ! un autre homme ici, à ce chevet ! Brigitte heureuse,