Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/302

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vivante, adorée, et moi dans le coin d’un cimetière, tombant en poussière au fond d’une fosse ! Combien de temps pour qu’elle m’oublie, si je n’existe plus demain ? combien de larmes ? aucune, peut-être ! Pas un ami, personne qui l’approche, qui ne lui dise que ma mort est un bien, qui ne s’empresse de l’en consoler, qui ne la conjure de n’y plus songer ! Si elle pleure, on voudra la distraire ; si un souvenir la frappe, on l’écartera ; si son amour me survit en elle, on l’en guérira comme d’un empoisonnement ; et elle-même, qui le premier jour dira peut-être qu’elle veut me suivre, se détournera dans un mois, pour ne pas voir de loin le saule pleureur qu’on aura planté sur ma tombe ! Comment en serait-il autrement ? Qui regrette-t-on quand on est si belle ? Elle voudrait mourir de chagrin que ce beau sein lui dirait qu’il veut vivre, et qu’un miroir le lui persuaderait ; et le jour où les larmes taries feront place au premier sourire, qui ne la félicitera pas, convalescente de sa douleur ? Lorsque après huit jours de silence elle commencera à souffrir qu’on prononce mon nom devant elle, puis qu’elle en parlera elle-même, en regardant languissamment, comme pour dire : « Consolez-moi » ; puis peu à peu qu’elle en sera venue, non plus à éviter mon souvenir, mais à n’en plus parler, et qu’elle ouvrira ses fenêtres, par les beaux matins de printemps, quand les oiseaux chantent dans la rosée ; quand elle deviendra rêveuse et qu’elle dira : « J’ai aimé… », qui sera là, à côté d’elle ? qui osera lui répondre qu’il faut aimer encore ? Ah ! alors je n’y serai plus ! Tu l’écouteras, infidèle ; tu te pencheras en rougissant, comme une rose qui va s’épanouir, et ta beauté et ta jeunesse te monteront au front. Tout en disant que ton cœur est fermé, tu en laisseras