Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/308

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vaine qui en ce moment m’arrêta la main. Qui me voyait ? j’étais seul, la nuit. S’agissait-il des préjugés du monde ? qui m’empêchait d’écarter de mes yeux ce petit morceau de bois noir ? Je pouvais le jeter dans les cendres, et ce fut mon arme que j’y jetai. Ah ! que je le sentis jusqu’à l’âme, et que je le sens maintenant encore ! quels misérables sont les hommes qui ont jamais fait une raillerie de ce qui peut sauver un être ! Qu’importe le nom, la forme, la croyance ? tout ce qui est bon n’est-il pas sacré ? comment ose-t-on toucher à Dieu ?

Comme à un regard du soleil la neige descend des montagnes, et du glacier qui menaçait le ciel fait un ruisseau dans la vallée ; ainsi descendait dans mon cœur une source qui s’épanchait. Le repentir est un pur encens ; il s’exhalait de toute ma souffrance. Quoique j’eusse presque commis un crime, dès que ma main fut désarmée je sentis mon cœur innocent. Un seul instant m’avait rendu le calme, la force et la raison ; je m’avançai de nouveau vers l’alcôve ; je m’inclinai sur mon idole, et je baisai son crucifix.

« Dors en paix, lui dis-je, Dieu veille sur toi ! Pendant qu’un rêve te faisait sourire, tu viens d’échapper au plus grand danger que tu aies couru de ta vie. Mais la main qui t’a menacée ne fera de mal à personne ; j’en jure par ton Christ lui-même, je ne tuerai ni toi ni moi. Je suis un fou, un insensé, un enfant qui s’est cru un homme. Dieu soit loué ! tu es jeune et vivante, et tu es belle, et tu m’oublieras. Tu guériras du mal que je t’ai fait, si tu ne peux le pardonner. Dors en paix jusqu’au jour, Brigitte, et décide alors de notre destin ; quel que soit l’arrêt que tu prononces, je m’y soumettrai sans murmure. Et toi, Jésus, qui l’as sauvée, pardonne-moi, ne le lui dis pas.