Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/36

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rien par notre volonté et qu’il n’y a de crime qu’au mensonge.

Desgenais, à tout ce que je disais, me répondait : C’est une misérable ; promettez-moi de ne plus la voir. Je le lui jurai solennellement. Il me conseilla en outre de ne lui point écrire, même pour lui faire des reproches, et, si elle m’écrivait, de ne pas répondre. Je lui promis tout cela, presque étonné qu’il me le demandât et indigné de ce qu’il pouvait supposer le contraire.

Cependant la première chose que je fis, dès que je pus me lever et sortir de la chambre, fut de courir chez ma maîtresse. Je la trouvai seule, assise sur une chaise dans un coin de sa chambre, le visage abattu et dans le plus grand désordre. Je l’accablai des plus violents reproches ; j’étais ivre de désespoir. Je criais à faire retentir toute la maison, et en même temps les larmes me coupaient parfois la parole si violemment, que je tombais sur le lit pour leur donner un libre cours. Ah ! infidèle, ah ! malheureuse, lui disais-je en pleurant, tu sais que j’en mourrai ; cela te fait-il plaisir ? que t’ai-je fait ?

Elle se jeta à mon cou, me dit qu’elle avait été séduite, entraînée ; que mon rival l’avait enivrée dans ce fatal souper, mais qu’elle n’avait jamais été à lui ; qu’elle s’était abandonnée à un moment d’oubli, qu’elle avait commis une faute, mais non pas un crime ; enfin, qu’elle voyait bien tout le mal qu’elle m’avait fait, mais que, si je ne la reprenais, elle en mourrait aussi. Tout ce que le repentir sincère a de larmes, tout ce que la douleur a d’éloquence, elle l’épuisa pour me consoler ; pâle et égarée, sa robe entr’ouverte, ses cheveux épars sur ses épaules, à genoux au milieu de la chambre,