Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/37

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jamais je ne l’avais vue si belle, et je frémissais d’horreur pendant que tous mes sens se soulevaient à ce spectacle.

Je sortis brisé, n’y voyant plus et pouvant à peine me soutenir. Je ne voulais jamais la revoir ; mais au bout d’un quart d’heure j’y retournai. Je ne sais quelle force désespérée m’y poussait ; j’avais comme une sourde envie de la posséder encore une fois, de boire sur son corps magnifique toutes ces larmes amères et de nous tuer après tous les deux. Enfin, je l’abhorrais et je l’idolâtrais ; je sentais que son amour était ma perte, mais que vivre sans elle était impossible. Je montai chez elle comme un éclair ; je ne parlai à aucun domestique, j’entrai tout droit, connaissant la maison, et je poussai la porte de sa chambre.

Je la trouvai assise devant sa toilette, immobile et couverte de pierreries. Sa femme de chambre la coiffait ; elle tenait à la main un morceau de crêpe rouge qu’elle passait légèrement sur ses joues. Je crus faire un rêve ; il me paraissait impossible que ce fût là cette femme que je venais de voir, il y avait un quart d’heure, noyée de douleur et étendue sur le carreau. Je restai comme une statue. Elle, entendant sa porte s’ouvrir, tourna la tête en souriant. Est-ce vous ? dit-elle. Elle allait au bal et attendait mon rival qui devait l’y conduire. Elle me reconnut, serra ses lèvres et fronça le sourcil.

Je fis un pas pour sortir ; je regardais sa nuque, lisse et parfumée, où ses cheveux étaient noués et sur laquelle étincelait un peigne de diamant. Cette nuque, siège de la force vitale, était plus noire que l’enfer ; deux tresses luisantes y étaient tordues, et de légers épis d’argent se balançaient au-dessus. Ses épaules et son cou,