Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/51

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vaudrait mieux en effet. Vous avez découvert qu’elle vous trompait ; cela vous oblige-t-il à la mépriser, à la maltraiter, à croire qu’elle est digne de votre haine ?

« Quand bien même votre maîtresse ne vous aurait jamais trompé, et quand elle n’aimerait que vous à présent, songez, Octave, combien son amour serait encore loin de la perfection, combien il serait humain, petit, restreint aux lois de l’hypocrisie du monde ; songez qu’un autre homme l’a possédée avant vous, et même plus d’un autre homme ; que d’autres encore la posséderont après vous.

« Faites cette réflexion : ce qui vous pousse en ce moment au désespoir, c’est cette idée de perfection que vous vous étiez faite sur votre maîtresse, et dont vous voyez qu’elle est déchue. Mais dès que vous comprendrez bien que cette idée première elle-même était humaine, petite et restreinte, vous verrez que c’est bien peu de chose qu’un degré de plus ou de moins sur cette grande échelle pourrie de l’imperfection humaine.

« Vous conviendrez volontiers, n’est-ce pas ? que votre maîtresse a eu d’autres hommes et qu’elle en aura d’autres ; vous me direz sans doute que peu vous importe de le savoir, pourvu qu’elle vous aime, et qu’elle n’ait que vous tant qu’elle vous aimera. Mais, moi, je vous dis : Puisqu’elle a eu d’autres hommes que vous, qu’importe donc que ce soit hier ou il y a deux ans ? Puisqu’elle aura d’autres hommes, qu’importe que ce soit demain ou dans deux autres années ? Puisqu’elle ne doit vous aimer qu’un temps, et puisqu’elle vous aime, qu’importe donc que ce soit pendant deux ans ou pendant une nuit ? Êtes-vous homme, Octave ? Voyez-vous les feuilles tomber des arbres, le soleil se lever et se coucher ?