Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/61

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mais elle ne regrettait rien, sinon de n’être plus aimée. Je crus même qu’elle s’accusait en quelque sorte, comme n’ayant pas su conserver le cœur de son amant, et ayant agi avec légèreté à son égard.

Lorsque après avoir soulagé son cœur elle demeura peu à peu comme muette et incertaine : « Non, madame, lui dis-je, ce n’est point le hasard qui m’a conduit aujourd’hui au bois de Boulogne. Laissez-moi croire que les douleurs humaines sont des sœurs égarées, mais qu’un bon ange est quelque part qui unit parfois à dessein ces faibles mains tremblantes, tendues vers Dieu. Puisque je vous ai revue, et que vous m’avez appelé, ne vous repentez donc point d’avoir parlé ; et, qui que ce soit qui vous écoute, ne vous repentez jamais des larmes. Le secret que vous me confiez n’est qu’une larme tombée de vos yeux, mais elle est restée sur mon cœur. Permettez-moi de revenir, et souffrons quelquefois ensemble. »

Une sympathie si vive s’empara de moi en parlant ainsi, que, sans y réfléchir, je l’embrassai ; il ne me vint pas à l’esprit qu’elle s’en pût trouver offensée, et elle ne parut même pas s’en apercevoir.

Un silence profond régnait dans l’hôtel qu’habitait madame Levasseur. Quelque locataire y étant malade, on avait répandu de la paille dans la rue, en sorte que les voitures n’y faisaient aucun bruit. J’étais près d’elle, la tenant dans mes bras, et m’abandonnant à l’une des plus douces émotions du cœur, le sentiment d’une douleur partagée.

Notre entretien continua sur le ton de la plus expansive amitié. Elle me disait ses souffrances, je lui contais les miennes, et, entre ces deux douleurs qui se touchaient je sentais s’élever je ne sais quelle douceur, je ne