Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/68

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me brisais de fatigue, et lorsque après une journée de sueur et de courses j’arrivais le soir à mon lit, sentant l’écurie et la poudre, j’enfonçais ma tête dans l’oreiller, je me roulais dans mes couvertures, et je criais : « Fantôme, fantôme, es-tu las aussi ? me quitteras-tu quelque nuit ? »

Mais à quoi bon ces vains efforts ? La solitude me renvoyait à la nature, et la nature à l’amour. Lorsque à la rue de l’Observance, je me voyais entouré de cadavres, essuyant mes mains sur mon tablier sanglant, pâle au milieu des morts, suffoqué par l’odeur de la putréfaction, je me détournais malgré moi ; je sentais flotter dans mon cœur des moissons verdoyantes, des prairies embaumées, et la pensive harmonie du soir. « Non, me disais-je, ce n’est pas la science qui me consolera ; j’aurai beau me plonger dans cette nature morte, j’y mourrai moi-même comme un noyé livide dans la peau d’un agneau écorché. Je ne me guérirai pas de ma jeunesse ; allons vivre là où est la vie, ou mourons du moins au soleil. » Je partais, je prenais un cheval, je m’enfonçais dans les promenades de Sèvres et de Chaville ; j’allais m’étendre sur un pré en fleurs, dans quelque vallée écartée. Hélas ! et toutes ces forêts, toutes ces prairies me criaient : « Que viens-tu chercher ? Nous sommes vertes, pauvre enfant, nous portons la couleur de l’espérance. »

Alors je rentrais dans la ville ; je me perdais dans les rues obscures ; je regardais les lumières de toutes ces croisées, tous ces nids mystérieux des familles, les voitures passant, les hommes se heurtant. Oh ! quelle solitude ! quelle triste fumée sur ces toits ! quelle douleur dans ces rues tortueuses où tout piétine, travaille et sue, où des milliers d’inconnus vont se touchant le coude ;