Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/69

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cloaque où les corps seuls sont en société, laissant les âmes solitaires, et où il n’y a que les prostituées qui vous tendent la main au passage ! « Corromps-toi, corromps-toi, tu ne souffriras plus ! » Voilà ce que les villes crient à l’homme, ce qui est écrit sur les murs avec du charbon, sur les pavés avec de la boue, sur les visages avec du sang extravasé.

Et parfois, lorsque assis à l’écart dans un salon, j’assistais à une fête brillante, voyant sauter toutes ces femmes roses, bleues, blanches, avec leurs bras nus et leurs grappes de cheveux, comme des chérubins ivres de lumière dans leurs sphères d’harmonie et de beauté : « Ah ! quel jardin ! me disais-je, quelles fleurs à cueillir, à respirer ! Ah ! marguerites, marguerites, que dira votre dernier pétale à celui qui vous effeuillera ? “Un peu, un peu, et pas du tout.” Voilà la morale du monde, voilà la fin de vos sourires. C’est sur ce triste abîme de nos rêves que vous promenez si légèrement toutes ces gazes parsemées de fleurs ; c’est sur cette vérité hideuse que vous courez comme des biches, sur la pointe de vos petits pieds ! »

« Eh, mon Dieu ! disait Desgenais, pourquoi tout prendre au sérieux ? C’est ce qui ne s’est jamais vu. Vous plaignez-vous que les bouteilles se vident ? Il y a des tonneaux dans les caves, et des caves sur les coteaux. Faites-moi un bon hameçon, doré de douces paroles, avec une mouche à miel pour appât ; et alerte ! pêchez-moi dans le fleuve d’oubli une jolie consolatrice, fraîche et glissante comme une anguille ; il nous en restera encore, quand elle vous aura passé entre les doigts. Aimez, aimez ; vous en mourez d’envie. Il faut que jeunesse se passe, et si j’étais de vous, j’enlèverais plutôt la reine de Portugal que de faire de l’anatomie. »