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Page:Musset - On ne badine pas avec l'amour, 1884.djvu/60

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prévoir. Ma nièce sera introduite par cette porte à gauche, et mon fils par cette porte à droite. Qu’en dites-vous ? Je me fais une fête de voir comment ils s’aborderont, ce qu’ils se diront ; six mille écus ne sont pas une bagatelle, il ne faut pas s’y tromper. Ces enfants s’aimaient d’ailleurs fort tendrement dès le berceau. — Bridaine, il me vient une idée !

Maître Bridaine

Laquelle ?

Le Baron

Pendant le dîner, sans avoir l’air d’y toucher, — vous comprenez, mon ami, — tout en vidant quelques coupes joyeuses, — vous savez le latin, Bridaine ?

Maître Bridaine

Ità ædepol pardieu, si je le sais !

Le Baron

Je serais bien aise de vous voir entreprendre ce garçon, — discrètement, s’entend, — devant sa cousine ; cela ne peut produire qu’un bon effet ; — faites-le parler un peu latin, — non pas précisément pendant le dîner, cela deviendrait fastidieux, et quant à moi, je n’y comprends rien : — mais au dessert, entendez-vous ?

Maître Bridaine

Si vous n’y comprenez rien, monseigneur, il est probable que votre nièce est dans le même cas.

Le Baron

Raison de plus, ne voulez-vous pas qu’une femme admire ce qu’elle comprend ? D’où sortez-vous, Bridaine ? Voilà un raisonnement qui fait pitié.

Maître Bridaine

Je connais peu les femmes ; mais il me semble qu’il est difficile qu’on admire ce qu’on ne comprend pas.

Le Baron

Je les connais, Bridaine, je connais ces êtres charmants et indéfinissables. Soyez persuadé qu’elles aiment à avoir de la poudre dans les yeux, et que plus on leur en jette, plus elles les écarquillent, afin d’en gober davantage. (Perdican entre d’un côté, Camille de l’autre.) Bonjour, mes enfants ; bonjour, ma chère Camille, mon cher Perdican ! embrassez-moi, et embrassez-vous.

Perdican

Bonjour, mon père, ma sœur bien-aimée ! Quel bonheur ! que je suis heureux !

Camille

Mon père et mon cousin, je vous salue.