encore tout pleins de vie, voilà le monde mystérieux des rêves de mon enfance ! Ô patrie ! patrie, mot incompréhensible ! l’homme n’est-il donc né que pour un coin de terre, pour y bâtir son nid et pour y vivre un jour ?
On nous a dit que vous êtes un savant, monseigneur.
Oui, on me l’a dit aussi. Les sciences sont une belle chose, mes enfants ; ces arbres et ces prairies enseignent à haute voix la plus belle de toutes, l’oubli de ce qu’on sait.
Il s’est fait plus d’un changement pendant votre absence. Il y a des filles mariées et des garçons partis pour l’armée.
Vous me conterez tout cela. Je m’attends bien à du nouveau ; mais en vérité je n’en veux pas encore. Comme ce lavoir est petit ! autrefois il me paraissait immense ; j’avais emporté dans ma tête un océan et des forêts ; et je retrouve une goutte d’eau et des brins d’herbe. Quelle est donc cette jeune fille qui chante à sa croisée derrière ces arbres ?
C’est Rosette, la sœur de lait de votre cousine Camille.
Descends vite, Rosette, et viens ici.
Oui, monseigneur.
Tu me voyais de ta fenêtre, et tu ne venais pas, méchante fille ? Donne-moi vite cette main-là, et ces joues-là, que je t’embrasse.
Oui, monseigneur.
Es-tu mariée, petite ? on m’a dit que tu l’étais.
Oh ! non.
Pourquoi ! Il n’y a pas dans le village de plus jolie fille que toi. Nous te marierons, mon enfant.
Monseigneur, elle veut mourir fille.
Est-ce vrai, Rosette ?
Oh ! non.