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tout cela est venu. Ce que je voulais vous raconter comme une curiosité, c’est que tous les récits de Louise, toutes les fictions de mes rêves portaient votre ressemblance.

Perdican

Ma ressemblance, à moi ?

Camille

Oui, et cela est naturel : vous étiez le seul homme que j’eusse connu. En vérité, je vous ai aimé, Perdican.

Perdican

Quel âge as-tu, Camille ?

Camille

Dix-huit ans.

Perdican

Continue, continue ; j’écoute.

Camille

Il y a deux cents femmes dans notre couvent ; un petit nombre de ces femmes ne connaîtra jamais la vie ; et tout le reste attend la mort. Plus d’une parmi elles sont sorties du monastère comme j’en sors aujourd’hui, vierges et pleines d’espérances. Elles sont revenues peu de temps après, vieilles et désolées. Tous les jours il en meurt dans nos dortoirs, et tous les jours il en vient de nouvelles prendre la place des mortes sur les matelas de crin. Les étrangers qui nous visitent admirent le calme et l’ordre de la maison ; ils regardent attentivement la blancheur de nos voiles ; mais ils se demandent pourquoi nous les rabaissons sur nos yeux. Que pensez-vous de ces femmes, Perdican ? Ont-elles tort, ou ont-elles raison ?

Perdican

Je n’en sais rien.

Camille

Il s’en est trouvé quelques-unes qui me conseillent de rester vierge. Je suis bien aise de vous consulter. Croyez-vous que ces femmes-là auraient mieux fait de prendre un amant et de me conseiller d’en faire autant ?

Perdican

Je n’en sais rien.

Camille

Vous aviez promis de me répondre.

Perdican

J’en suis dispensé tout naturellement ; je ne crois pas que ce soit toi qui parles.

Camille

Cela se peut, il doit y avoir dans toutes mes idées des choses très ridicules. Il se peut bien qu’on m’ait fait la leçon, et que je ne sois qu’un perroquet mal appris.