Il y a dans la galerie un petit tableau qui représente un moine courbé sur un missel, à travers les barreaux obscurs de sa cellule glisse un faible rayon de soleil, et on aperçoit une locanda italienne, devant laquelle danse un chevrier. Lequel de ces deux hommes estimez-vous davantage ?
Ni l’un ni l’autre et tous les deux. Ce sont deux hommes de chair et d’os ; il y en a un qui lit et un autre qui danse ; je n’y vois pas autre chose. Tu as raison de te faire religieuse.
Vous me disiez non tout à l’heure.
Ai-je dit non ? Cela est possible.
Ainsi vous me le conseillez ?
Ainsi tu ne crois à rien ?
Lève la tête, Perdican ! quel est l’homme qui ne croit à rien ?
En voilà un ; je ne crois pas à la vie immortelle. — Ma sœur chérie, les religieuses t’ont donné leur expérience ; mais, crois-moi, ce n’est pas la tienne ; tu ne mourras pas sans aimer.
Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir ; je veux aimer d’un amour éternel, et faire des serments qui ne se violent pas. Voilà mon amant. Elle montre son crucifix.
Cet amant-là n’exclut pas les autres.
Pour moi, du moins, il les exclura. Ne souriez pas, Perdican ! Il y a dix ans que je ne vous ai vu, et je pars demain. Dans dix autres années, si nous nous revoyons, nous en reparlerons. J’ai voulu ne pas rester dans votre souvenir comme une froide statue ; car l’insensibilité mène au point où j’en suis. Écoutez-moi ; retournez à la vie, et tant que vous serez heureux, tant que vous aimerez comme on peut aimer sur la terre, oubliez votre sœur Camille ; mais s’il vous arrive jamais d’être oublié ou d’oublier vous-même, si l’ange de l’espérance vous abandonne, lorsque vous serez seul avec le vide dans le cœur, pensez à moi qui prierai pour vous.
Tu es une orgueilleuse ; prends garde à toi.