Page:Musset - Poésies, édition Nelson.djvu/53

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Et son barbet grognon, qui près de lui repose,
Supporte fièrement ses deux pieds étendus;
Tandis qu’à ses côtés, sous le vase d’albâtre
Où dort dans les glaçons le bourgogne mousseux,
Le pudding entamé, de sa flamme bleuâtre,
Salamandre joyeuse, égayé encor les yeux.
Son parfum, qui se mêle au tabac de Turquie,
Croise autour des lambris son brouillard azuré,
Qui s’enfuit comme un songe, et s’éteint par degré.
 
Trois cigares le soir, quand le jeu vous ennuie,
Sont un moyen divin pour mettre à mort le temps.
Notre âme (si Dieu veut que nous ayons une âme)
N’est pas assurément une plus douce flamme,
Un feu plus vif, formé de rayons plus ardents,
Que ce sylphe léger qui plonge et se balance
Dans le bol où le punch rit sur son trépied d’or.
Le grog est fashionable, et le vieux vin de France
Réveille au fond du cœur la gaîté qui s’endort.
— Mais quel homme, fût-il né dans la Sibérie
Des baisers engourdis de deux êtres glacés,
Eût-on sous un cilice étouffé de sa vie
La sève languissante et les germes usés,
Se fût-il dans la cendre abreuvé dès l’enfance
De végétaux sans suc et d’herbes sans chaleur;
Quel homme, au triple aspect du punch, du vin de France
Et du cigarero, ne sentirait son cœur.