Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/187

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Et les ombres déjà, que le vent fait frémir,
Sur le sol obscurci semblent se réunir.
Le repos par degrés s’étend sur les campagnes,
L’astre baisse, — il s’arrête au sommet des montagnes,
Jette un dernier regard aux cimes des forêts,
Et meurt. — Les nuits d’hiver suivent les soirs de près.

Quelques groupes épars d’oisifs, de jeunes filles,
De joyeux villageois regagnant la cité,
Se distinguent encore, malgré l’obscurité.
Sous le chaume habité par de pauvres familles,
Des feux de loin en loin enfument les vieux toits
Noircis par l’eau du ciel dont dégouttent les bois.
Tandis que des enfants la voix fraîche et sonore,
Montant avec l’encens de la maison de Dieu,
Au bruit confus des mers au loin se mêle encore,
Et fait frémir au vent les vitraux du saint lieu,
Quelques refrains grossiers que l’on entend à peine
Rappellent au passant le jour du samedi.
Le buveur nonchalant a laissé loin de lui
L’artisan de la veille, obsédé par la gêne,
Qui, baignant de sueur chaque morceau de pain,
Travaillant pour le jour, doute du lendemain.
L’oubli, ce vieux remède à l’humaine misère
Semble avec la rosée être tombé des cieux.
Se souvenir, hélas ! — oublier — c’est sur terre
Ce qui, selon les jours, nous fait jeunes ou vieux !

Tiburce contemplait cette bizarre scène ;
Son œil sous les vapeurs apercevait à peine
Les fantômes mouvants qui passaient devant lui.
Dieu juste ! sous ces toits que d’humbles destinées