Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/197

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Et de son pauvre toit reprenait le chemin.
Tout se taisait au loin dans les blanches prairies ;
Tout, jusqu’au souvenir, se taisait dans son cœur.
Pour la nature et l’homme, ainsi parfois la vie
A ses jours de soleil et ses jours de bonheur.
C’est une pause — un calme — une extase indicible.
Le temps — ce voyageur qu’une main invisible,
D’âge en âge, à pas lents, mène à l’éternité —
Sur le bord du chemin, pensif, s’est arrêté.

Ah ! brûlante, brûlante, ô nature ! est la flamme
Que d’un être adoré la main laisse à la main,
Et la lèvre à la lèvre, et l’âme au fond de l’âme !
Devant tes voluptés, ô Nuit ! c’est le Matin
Qui devrait disparaître et replier ses ailes !
Pourquoi te réveiller, quand, loin des feux du jour,
Aux accents éloignés de tes sœurs immortelles,
Tes beaux yeux se fermaient dans les bras de l’Amour ?
Que fais-tu, jeune fille, à cette heure craintive ?
Lèves-tu ton front pâle au bord du flot dormant,
Pour suivre à l’horizon les pas de ton amant ?
La vaste mer, Georgette, a couvert cette rive.
L’écume de ses eaux trompera tes regards.
Tu la prendras de loin pour le pied des remparts
Où de ton bien-aimé tu crois voir la demeure.
Rentre, cœur plein d’amour ! les vents d’est à cette heure
Glissent dans tes cheveux, et leur souffle est glacé.
Retourne au vieux manoir et songe au temps passé !

Sous les brouillards légers qui dérobaient la terre,
Tiburce dans les prés s’avançait lentement.
Il atteignit enfin la maison solitaire
Que rougissaient déjà les feux de l’orient. —