Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais croire que l’on tient les pommes d’Hespérides,
Et presser tendrement un navet sur son cœur !
Voilà, mon cher ami, ce qui porte un auteur
À des auto-da-fés, — à des infanticides.
Les rimeurs, vous voyez, sont comme les amants.
Tant qu’on n’a rien écrit, il en est d’une idée
Comme d’une beauté qu’on n’a pas possédée.
On l’adore, on la suit, — ses détours sont charmants.
Pendant que l’on tisonne en regardant la cendre,
On la voit voltiger ainsi qu’un salamandre ;
Chaque mot fait pour elle est comme un billet doux ;
On lui donne à souper, — qui le sait mieux que vous ?
(Vous pourriez au besoin traiter une princesse.)
Mais dès qu’elle se rend, bonsoir, le charme cesse.
On sent dans sa prison l’hirondelle mourir.
Si tout cela, du moins, vous laissait quelque chose !
On garde le parfum en effeuillant la rose ;
Il n’est si triste amour qui n’ait son souvenir.


Lorsque la jeune fille, à la source voisine,
À sous les nénufars lavé ses bras poudreux,
Elle reste au soleil, les mains sur sa poitrine,
À regarder longtemps pleurer ses beaux cheveux.
Elle sort, mais pareille aux rochers de Borghèse,
Couverte de rubis comme un poignard persan —
Et sur son front luisant sa mère qui la baise
Sent du fond de son cœur la fraîcheur de son sang.
Mais le poète, hélas ! s’il puise à la fontaine,
C’est comme un braconnier poursuivi dans la plaine,
Pour boire dans sa main, et courir se cacher, —
Et cette main brûlante est prompte à se sécher.


Je ne fais pas grand cas, pour moi, de la critique,