Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/21

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Jusqu’au faîte en grimpant tournoyer une lampe ?
On s’arrête ; — on l’éteint. — Un pas précipité
Retentit sur la dalle, et vient de ce côté.
— Ouvre la porte, Inès : eh ! vois-tu pas, de grâce,
Au bas de la poterne un manteau gris qui passe ?
Vois-tu sous le portail marcher un homme armé ?
C’est lui, c’est don Paez ! — Salut, mon bien-aimé !

DOM PAEZ.
Salut ; — que le Seigneur vous tienne sous son aide !
JUANA.
Êtes-vous donc si las, Paez, ou suis-je laide,

Que vous ne venez pas m’embrasser aujourd’hui ?

DOM PAEZ.
J’ai bu de l’eau-de-vie à dîner, je ne puis.
JUANA.
Qu’avez-vous, mon amour ? pourquoi fermer la porte

Au verrou ? Don Paez a-t-il peur que je sorte ?

DOM PAEZ.
C’est plus aisé d’entrer que de sortir d’ici.
JUANA.
Vous êtes pâle, ô ciel ! Pourquoi sourire ainsi ?
DOM PAEZ.
Tout à l’heure, en venant, je songeais qu’une femme

Qui trahit son amour, Juana, doit avoir l’âme
Faite de ce métal faux dont sont fabriqués
La mauvaise monnaie et les écus marqués.

JUANA.
Vous avez fait un rêve aujourd’hui, je suppose ?
DOM PAEZ.
Un rêve singulier. — Donc, pour suivre la chose,

Cette femme-là doit, disais-je, assurément
Quelquefois se méprendre et se tromper d’amant.