Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
JUANA.
M’oubliez-vous, Paez, et l’endroit où nous sommes ?
DOM PAEZ.
C’est un péché mortel, Juana, d’aimer deux hommes.
JUANA.
Hélas ! rappelez-vous que vous parlez à moi.
DOM PAEZ.
Oui, je me le rappelle ; oui, par la sainte foi,

Comtesse !

JUANA.
Comtesse ! Dieu ! vrai Dieu ! quelle folie étrange

Vous a frappé l’esprit ; mon bien-aimé, mon ange ?
C’est moi, c’est ta Juana. — Tu ne le connais pas,
Ce nom qu’hier encor tu disais dans mes bras ?
Et nos serments, Paez, nos amours infinies !
Nos nuits, nos belles nuits ! nos belles insomnies !
Et nos larmes, nos cris dans nos fureurs perdus !
Ah ! mille fois malheur ! il ne s’en souvient plus !

Et, comme elle parlait ainsi, sa main ardente
Du jeune homme au hasard saisit la main pendante.
Vous l’eussiez vu soudain pâlir et reculer,
Comme un enfant transi qui vient de se brûler.
« Juana, murmura-t-il, tu l’as voulu ! » Sa bouche
N’en put dire plus long ; car déjà sur la couche
Ils se tordaient tous deux, et sous les baisers nus
Se brisaient les sanglots du fond du cœur venus.
Oh ! comme, ensevelis dans leur amour profonde,
Ils oubliaient le jour, et la vie, et le monde !
C’est ainsi qu’un nocher, sur les flots écumeux,
Prend l’oubli de la terre à regarder les cieux !

Mais, silence ! écoutez. — Sur leur sein qui se froisse,