Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/235

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Mon Dieu ! si jeune hier, aujourd’hui je succombe.
C’est toi qui m’as tué, ton beau corps est ma tombe
Mes baisers sur ta lèvre en ont usé le seuil.
De tes longs cheveux noirs tu m’as fait un linceul.
Éloigne ces flambeaux, — entr’ouvre la fenêtre.
Laisse entrer le soleil, c’est mon dernier peut-être.
Laisse-le-moi chercher, laisse-moi dire adieu
À ce beau ciel si pur, qu’il a fait croire en Dieu.

BELCOLORE.

Pourquoi me gardes-tu, si c’est moi qui te tue,
Et si tu te crois mort pour deux nuits de plaisir ?

FRANK.

Tous les amants heureux ont parlé de mourir.
Toi, me tuer, mon Dieu ! Du jour où je t’ai vue,
Ma vie a commencé ; le reste n’était rien ;
Et mon cœur n’a jamais battu que sur le tien.
Tu m’as fait riche, heureux, tu m’as ouvert le monde.
Regarde, ô mon amour ! quelle superbe nuit !
Devant de tels témoins qu’importe ce qu’on dit,
Pourvu que l’âme parle et que l’âme réponde ?
L’ange des nuits d’amour est un ange muet.

BELCOLORE.

Combien as-tu gagné ce soir au lansquenet ?

FRANK.

Qu’importe ? Je ne sais. — Je n’ai plus de mémoire.
Voyons, — viens dans mes bras, — laisse-moi t’admirer. —
Parle, — réveille-moi, conte-moi ton histoire —
Quelle superbe nuit ! je suis prêt à pleurer.

BELCOLORE.

Si tu veux t’éveiller, dis-moi plutôt la tienne.

FRANK.

Nous sommes trop heureux pour que je m’en souvienne.
Que dirais-je, d’ailleurs ? Ce qui fait les récits,