Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/295

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Une fois marié, parbleu ! c’est votre affaire.
Permettez-moi, de grâce, une autre question.
Avez-vous jusqu’ici vécu sans passion ?
En un mot… franchement, mon cher, êtes-vous vierge ?

Silvio.

Vierge du cœur à l’âme, et de la tête aux pieds.

Laërte.

Bon ! Je ne hais rien tant que les jeunes roués.
Le cœur d’un libertin est fait comme une auberge ;
On y trouve à toute heure un grand feu bien nourri,
Un bon gîte, un bon lit — et la clef sur la porte.
Mais on entre aujourd’hui : demain il faut qu’on sorte.
Ce n’est pas ce bois-là, dont on fait un mari.
Que tout vous soit nouveau, quand la femme est nouvelle.
Ce n’est jamais un bien que l’on soit plus vieux qu’elle,
Ni du corps ni du cœur. — Tâchez de deviner.
Quel bonheur, en amour, de pouvoir s’étonner !
Elle aura ses secrets, et vous aurez les vôtres.
Restez longtemps enfants : vous vous en ferez d’autres.
Ce secret-là surtout est si vite oublié !

Silvio.

Si ma femme pourtant croit trouver un roué,
Quel misérable effet fera mon ignorance !
N’appréhendez-vous rien de ces étonnements ?

Laërte.

Ceci pourrait sonner comme une impertinence.
Mes filles n’ont, monsieur, que de très bons romans.
Ah ! Silvio, je vous livre une fleur précieuse.
Effeuillez lentement cette ignorance heureuse.
Si vous saviez quel tort se font bien des maris,
En se livrant, dans l’ombre, à des secrets infâmes,
Pour le fatal plaisir d’assimiler leurs femmes
Aux femmes sans pudeur dont ils les ont appris !