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DON PAEz.

Il n’en fut pas un seul qui de bonne fortune
Ne se dît passé maître, et n’en vantât quelqu’une :
Celle-ci pour ses pieds, celle-là pour ses yeux ;
L’autre c’était la taille, et l’autre les cheveux.
Don Paez, cependant, debout et sans parole,
Souriait ; car, le sein plein d’une ivresse folle,
Il ne pouvait fermer ses paupières sans voir
Sa maîtresse passer, blanche avec un œil noir !

"Messieurs, cria d’abord notre moustache rousse.
La petite Inésille est la peau la plus douce
Où j’aie encor frotté ma barbe jusqu’ici.
— Monsieur, dit un voisin rabaissant son sourcil,
Vous ne connaissez pas l’Arabelle ; elle est brune
Comme un jais. — Quant à moi, je n’en puis citer une,
Dit quelqu’un, j’en ai trois. — Frères, cria de loin
Un dragon jaune et bleu qui dormait dans du foin,
Vous m’avez éveillé ; je rêvais à ma belle.
— Vrai, mon petit ribaud ! dirent-ils, quelle est-elle ? "
Lui, bâillant à moitié : "Par Dieu ! c’est l’Orvado,
Dit-il, la Juana, place San-Bernardo."

Dieu fit que don Paez l’entendit ; et la fièvre
Le prenant aux cheveux, il se mordit la lèvre :
"Tu viens là de lâcher quatre mots imprudents,
Mon cavalier, dit-il, car tu mens par tes dents !
La comtesse Juana d’Orvado n’a qu’un maître,
Tu peux le regarder, si tu veux le connaître.
— Vrai ? reprit le dragon ; lequel de nous ici
Se trompe ? Elle est à moi, cette comtesse aussi.