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PAEZ.

Seule dans ce taudis atteste qu’on y mange.
Ici, deux grands bahuts, des tabourets boiteux,
Cassant à tout propos quand on s’assoit sur eux ;
— Des pots ; — mille haillons ; — et sur la cheminée,
Où chantent les grillons la nuit et la journée,
Quatre méchants portraits pendus, représentant
Des faces qui feraient fuir en enfer Satan.
"Femme, dit don Paez, es-tu là ? " Sur la porte
Pendait un vieux tapis de laine rousse, en sorte
Que le jour en tout point trouait le canevas ;
Pour l’écarter du mur, Paez leva le bras.
"Entre", répond alors une voix éraillée.
Sur un mauvais grabat, de lambeaux habillée,
Un femme, pieds nus, découverte à moitié,
Gisait. — C’était horreur de la voir, — et pitié.
Peut-être qu’à vingt ans elle avait été belle ;
Mais un précoce automne avait passé sur elle ;
Et noire comme elle est, on dirait à son teint,
Que sur son front hâlé ses cheveux ont déteint.
A dire vrai, c’était une fille de joie.
Vous l’eussiez vue un temps en basquine de soie,
Et l’on se retournait quand, avec son grelot,
La Belisa passait sur sa mule au galop.
C’étaient des boléros, des fleurs, des mascarades.
La misère aujourd’hui l’a prise. — Les alcades,
Connaissant, le taudis pour triste et mal hanté,
La laissent sous son toit mourir par charité.
Là, depuis quelques ans, elle traîne une vie
Que soutient à grand’peine une sale industrie :