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Venant du Pharisien partager le repas.
Le Pharisien parfois voit luire une auréole
Sur son hôte divin, — puis, quand elle s’envole,
Il dit au Fils de Dieu : Si tu ne l’étais pas ?
Je suis le Pharisien, et je dis à mon hôte :
Si ton démon céleste était un imposteur ?
Il ne s’agit pas là de reprendre une faute,
De retourner un vers comme un commentateur,
Ni de se remâcher comme un bœuf qui rumine.
Il est assez de mains, chercheuses de vermine,
Qui savent éplucher un récit malheureux,
Comme un pâtre espagnol épluche un chien lépreux.
Mais croire que l’on tient les pommes d’Hespérides
Et presser tendrement un navet sur son cœur !
Voilà, mon cher ami, ce qui porte un auteur
À des auto-da-fés, — à des infanticides.
Les rimeurs, vous voyez, sont comme les amants.
Tant qu’on n’a rien écrit, il en est d’une idée
Comme d’une beauté qu’on n’a pas possédée :
On l’adore, on la suit ; — ses détours sont charmants.
Pendant que l’on tisonne en regardant la cendre,
On la voit voltiger ainsi qu’un salamandre ;
Chaque mot fait pour elle est comme un billet doux ;
On lui donne à souper ; — qui le sait mieux que vous ?
(Vous pourriez au besoin traiter une princesse.)
Mais dès qu’elle se rend, bonsoir, le charme cesse.
On sent dans sa prison l’hirondelle mourir.
Si tout cela, du moins, vous laissait quelque chose !
On garde le parfum en effeuillant la rose ;
Il n’est si triste amour qui n’ait son souvenir.
Lorsque la jeune fille, à la source voisine,
A sous les nénuphars lavé ses bras poudreux,
Elle reste au soleil, les mains sur sa poitrine,
À regarder longtemps pleurer ses beaux cheveux.