Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/325

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coup de trouble et de désappointement. Cette seule pensée : « Le roi est ici ! » l’effrayait plus que n’avaient fait la veille ces trois mots : « Le roi va passer ! » car ce n’était alors que de l’imprévu, et maintenant il connaissait ce froid regard, cette majesté impassible.

— Ah, bon Dieu ! quel visage ferais-je si j’essayais, en étourdi, de pénétrer dans ce jardin, et si j’allais me trouver face à face devant ce monarque superbe, prenant son café au bord d’un ruisseau ?

Aussitôt se dessina devant le pauvre amoureux la silhouette désobligeante de la Bastille ; au lieu de l’image charmante qu’il avait gardée de cette marquise passant en souriant, il vit des donjons, des cachots, du pain noir, l’eau de la question ; il savait l’histoire de Latude. Peu à peu venait la réflexion, et peu à peu s’envolait l’espérance.

— Et cependant, se dit-il encore, je ne fais point de mal, ni le roi non plus. Je réclame contre une injustice ; je n’ai jamais chansonné personne. On m’a si bien reçu hier à Versailles, et les laquais ont été si polis ! De quoi ai-je peur ? De faire une sottise. J’en ferai d’autres qui répareront celle-là.

Il s’approcha de la grille et la toucha du doigt ; elle n’était pas tout à fait fermée. Il l’ouvrit et entra résolûment. Le suisse se retourna d’un air ennuyé.

— Que demandez-vous ? où allez-vous ?

— Je vais chez madame de Pompadour.

— Avez-vous une audience ?