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ET SES AMIS

avait peu de biens, — sa fortune ne dépassa jamais vingt mille livres de rente — voulut vivre comme s’il eût été millionnaire ; aussi fut-il bientôt parfaitement ruiné, c’est le mot de Saint-Simon. Le gouvernement de la Nouvelle-France était une grande faveur à lui accorder. Elle ne lui fut pas donnée discrètement comme une aumône, mais ostensiblement offerte comme une décoration. La protection de Louis XIV fut éclatante et complète : à ce point que des lettres d’État défendirent formellement à ses créanciers de le poursuivre ou de lui réclamer leurs dettes. Et les historiens de Frontenac intime racontent qu’une fois installé au château Saint-Louis le vieux gouverneur prenait plaisir à sympathiser avec ceux qui se trouvaient « aussi bien » que lui dans leurs affaires ! La Hontan fut de ceux-là.

Le traitement du gouverneur, en 1672, se chiffrait officiellement à 3,000 livres[1] et, vingt-cinq ans plus tard, à la mort de Frontenac — 1698 — à 10,000 écus, s’il faut en croire le Journal de Dangeau. La position était donc beaucoup plus honorifique que rémunératrice. La distinction des compétiteurs en fait foi. Le gendre de Madame de Sévigné, le comte de Grignan, était au nombre des aspirants au fauteuil vice-royal, et le dépit qu’éprouva de son échec l’illustre marquise établit, mieux que toute autre démonstration, l’importance de la position et l’estime dans laquelle on tenait à Paris le gouverneur de la Nouvelle-France. Le jour même de la nomination de Frontenac, Madame de Sévigné écrivait à sa fille : « Ayez une vue du Canada comme d’un bien qui n’est plus à

  1. « Quelle que fût la médiocrité de sa fortune, Frontenac voulut arriver au Canada comme un gouverneur qui comprend la dignité de sa situation ; il avait reçu quelques libéralités du roi : 6,000 livres, « pour se mettre en équipage, » 9,000 livres environ pour former une compagnie de vingt hommes de guerre à cheval, dits carabins, qui seraient sa garde du corps. Il avait chargé un vaisseau de ses « ameublements et équipages, » mais les Hollandais, auxquels Louis XIV venait de déclarer la guerre, s’en emparèrent à la hauteur de l’île Dieu. »
    Henri Lorin, Le Comte de Frontenac, page 28.